Nous sensibilisons sur l’importance et la diversité du Plancton, vous le savez. Heureusement, nous ne sommes pas les seuls, et le lundi 23 septembre dernier, ce n’est pas l’Observatoire mais un groupe d’experts qui a présenté un Manifeste de défense du Plancton devant l’ONU, à New-York. Un texte important appelant les Nations Unies à prendre conscience de l’importance vitale du Plancton sur Terre. (Article de Reporterre, média indépendant sur l’écologie dont nous nous permettons de partager leur contenu de cette manière, merci à eux).
Un Manifeste de défense des planctons, indispensables à la vie sur Terre, a été présenté le 23 septembre à l’ONU. Ce texte appelle à prendre conscience de leur importance, nous explique le biologiste marin Vincent Doumeizel.
Animaux, bactéries, plantes, protistes, champignons… Les planctons sont omniprésents, dans toutes les branches du vivant. Ces organismes si diversifiés, souvent microscopiques et dérivant dans les eaux douces et salées, représentent notamment 60 % de la biomasse animale dans l’océan. Leur importance est cruciale pour le climat, la biodiversité et même dans la lutte contre la pollution.
C’est ce que souligne le Manifeste pour le plancton, un texte présenté lundi 23 septembre à New York, lors de la 79ᵉ session de l’Assemblée générale des Nations unies. « Ils génèrent une part importante de l’oxygène chaque année, absorbent de grandes quantités de carbone — représentant 99 % de la pompe à carbone biologique de l’océan — purifient l’eau et recyclent les nutriments vitaux pour la vie marine », en plus d’être à la base de toute la chaîne alimentaire, détaille ainsi l’Ocean Stewardship Coalition, une initiative du Pacte mondial des Nations unies, à l’origine du Manifeste.
Mais le plancton est le parent pauvre des politiques et négociations écologiques internationales, déplore la trentaine d’experts internationaux, chercheurs universitaires et représentants d’institutions et d’industries, à l’origine du manifeste. Ils appellent à renforcer la recherche sur le plancton et à mieux l’intégrer aux discussions internationales. Vincent Doumeizel, conseiller pour les océans au Pacte mondial des Nations unies, nous explique pourquoi le plancton devrait être une clé de voute des politiques pour l’océan.
Reporterre — Pourquoi lancez-vous ce manifeste maintenant ? Traduit-il la difficulté à faire entendre aux décideurs l’importance majeure de ces organismes ?
Vincent Doumeizel — Oui, lors des COP climat, COP de la biodiversité ou autres conférences onusiennes, il n’est jamais fait aucune mention du plancton. Cela vient en partie du fait qu’on le connaît très mal. Le mot plancton lui-même n’est apparu qu’au XIXe siècle. Des technologies comme le séquençage ADN, l’imagerie satellite ou par drone ont permis un énorme saut quantitatif : 90 % des découvertes ont été faites il y a moins de dix ans.
On est en train de réaliser qu’il est bien plus important qu’on ne le pensait : c’est vraiment la matrice de la vie sur Terre. C’est ce que pointe ce Manifeste sur lequel on a travaillé pendant six mois, avec comme gageure la contrainte de le synthétiser en vingt pages, pour qu’il soit lu par le plus grand nombre de dirigeants possible.
Le manifeste énumère de nombreuses menaces qui pèsent sur le plancton : eutrophisation de l’eau à cause des intrants agricoles, produits chimiques et plastiques toxiques pour la vie marine, réchauffement et acidification de l’océan par nos émissions de carbone, surpêche et autres perturbations des écosystèmes… Mesure-t-on déjà les conséquences de nos activités sur le plancton ?
Le plancton, dans l’absolu, nous survivra probablement. Mais un certain type de plancton, adapté à la vie telle que nous la connaissons, risque de disparaître au profit d’un autre. Nous sommes par exemple en train de détruire le plancton qui séquestre le carbone, ce qui laisse la place à un autre beaucoup moins efficace.
« Si cette source d’absorption du carbone disparaît, ce sera la fin de la partie pour nous »
Si cette source d’absorption du carbone disparaît, voire est remplacée par des organismes qui en émettent, ce ne sera plus la peine de réfléchir à la sobriété énergétique pour le climat, ce sera la fin de la partie pour nous.
Autre exemple : le plastique présent dans l’océan affaiblit le plancton de multiples manières. Il réduit la photosynthèse, il est nocif chimiquement, et lorsque des organismes planctoniques comme les diatomées s’accrochent à des particules plastiques, cela les empêche de couler comme elles sont censées le faire.
Au fond, vous pointez les mêmes activités humaines polluantes et extractivistes qui sont responsables de l’ensemble des ravages écologiques. Le problème n’est-il pas davantage systémique que spécifique au plancton ?
L’enjeu est en effet systémique. Il faut prendre conscience de l’interconnexion des écosystèmes. J’ai l’habitude de dire « les sardines adorent les châtaigniers » : lorsque les feuilles de châtaigniers tombent, elles nourrissent l’humus, lequel apporte via le cycle de l’eau des nutriments aux océans, qui nourrissent les planctons, qui vont eux-mêmes nourrir les sardines. Lorsqu’on remplace une forêt de feuillus par une plantation de conifères, ça a un impact sur le plancton et les sardines.
De même, les barrages bloquent l’arrivée de nutriments dans l’océan et ont un impact dramatique sur les océans. Il faut changer de manière de penser : tout est connecté, il faut penser toutes ces filières en pensant aux conséquences sur le plancton.
Le manifeste évoque également les « solutions basées sur le plancton » : leurs capacités biologiques extraordinaires nous permettraient de déployer des processus industriels plus écologiques. Cette approche utilitariste et technosolutionniste ne risque-t-elle pas d’édulcorer ce besoin de changement systémique ?
Le message, c’est que réparer le plancton, c’est réparer la biodiversité. Le plancton est un allié pour capturer le carbone. Il peut aussi participer à nettoyer les océans : certaines bactéries planctoniques sont capables de dégrader le plastique.
Elles pourraient aussi nous permettre d’économiser beaucoup d’énergie : les diatomées se construisent des carapaces en verre dans une eau à 4 °C, alors que l’industrie du verre doit monter à 1 500 °C pour faire la même chose. Les solutions biomimétiques pourraient être assez incroyables.
« Donnez-moi un container de fer et je vous offre un nouvel âge de glace »
Mais certains sujets sont également très controversés. Le stockage du carbone par le plancton pourrait par exemple être accéléré si l’on faisait proliférer massivement ce plancton, ce que l’on pourrait faire en ensemençant l’océan avec du fer, dont ont besoin ces organismes. Cela pourrait être très efficace. Certains scientifiques étasuniens sont adeptes de phrases comme : « Donnez-moi un container de fer et je vous offre un nouvel âge de glace. »
Cette appétence pour ce type de géo-ingénierie est très présente dans la communauté scientifique anglo-saxonne. Les chercheurs européens y sont en revanche massivement opposés. Ils sont inquiets de ces ambitions de manipulation volontaire de l’océan et du climat, alors même que l’on n’a aucune idée des conséquences sur les équilibres océaniques. Je suis également sur cette ligne : on connaît bien trop mal les océans pour prétendre maîtriser quoi ce que soit.
Ces ambitions de géo-ingénierie sont toutefois de plus en plus poussées dans le débat public et scientifique. Ne craignez-vous pas que votre appel serve de cheval de Troie pour les promoteurs de l’ensemencement de l’océan ?
Au contraire, des personnes favorables à cette technique ont même quitté le Manifeste. Nous appelons à développer la connaissance et à sensibiliser massivement à l’existence et l’importance du plancton sur Terre. Ces organismes sont la base de la vie depuis plus de 3,5 milliards d’années.
« On brûle chaque année un million d’années de plancton sédimenté »
À peu près tout ce qu’on a sur Terre vient d’eux, même les roches. Les falaises de Douvres et les craies pour les tableaux, ce sont des planctons morts. Le pétrole, c’est encore presque exclusivement du plancton mort. Et on brûle chaque année un million d’années de plancton sédimenté.
Il faut prendre conscience de leur importance, et que le meilleur moyen de les protéger c’est de réduire nos activités et leurs impacts. La réponse doit être systémique. Et elle doit être institutionnelle. On sera présent à la COP 16 sur la biodiversité, fin octobre, en Colombie. Et, surtout, à la Conférence des Nations unies sur l’océan, à Nice, en juin 2025. On espère pouvoir y faire des annonces et obtenir des engagements des gouvernements.
https://reporterre.net/Le-plancton-est-la-matrice-de-la-vie-sur-Terre (lien de l’article)