La vie dans une goutte d’eau

Méduses en pagaille

On le sait, aller se baigner en mer l’été peut nous faire croiser des êtres que l’on peut savoir loin de nous, ou derrière les vitres d’un aquarium : les méduses. Elles piquent, parfois très fort, et nous marquent d’un mauvais souvenir d’été. En nombre, elles peuvent même conduire à des fermetures de plage. Seulement, si l’on croit que le seul facteur est le réchauffement de l’eau, pourquoi les journaux évoquent-ils leur présence en mars…ou en novembre ? Les croyances populaires nous poussent à croire qu’elles sont signes du réchauffement climatique ou de la dégradation, bref, qu’elles sont des oiseaux de mauvais augure… Mais qu’en est-il vraiment ? 

Toutes méduses, toutes différentes

Si nous appelons tout gélatineux aquatiques à tentacules « méduses », sachez qu’il existe en réalité des milliers d’espèces différentes, des océans aux eaux douces. Transparentes, bleues, rouges, du millimètre à la taille d’une baleine, inoffensives ou mortelles… Du haut de leur extrême diversité, nous n’avons tendance qu’à en voir une toute petite partie. Souvent observée du bord des plages, cette gelée vivante et vue comme problématique peut s’avérer compliquée à identifier et classifier.

D’abord toutes cnidaires (du grec knide signifiant urticant), trois grands groupes s’en détachent :

  • Les scyphozoaires, dites « méduses vraies » : c’est la grande majorité des espèces que nous observons depuis la côte, comme les pélagies, les poumons de la mer ou les aurélies. Elles ne présentent pas de vélum et ont une cavité gastrale cloisonnée en 4. On peut également les reconnaître à leurs grands bras buccaux souvent confondus à tort avec leurs tentacules.
Rhizostoma octopus échouée sur une plage morbihannaise
  • Les hydrozoaires, comprenant des méduses mais aussi les siphonophores, comprenez les physalies et les vélelles. Le groupe comprend également des espèces seulement benthiques (hydres) ou pélagiques (seulement sous forme méduse, ou presque), la plupart étant trouvée dans les grandes profondeurs. Contrairement aux scyphozoaires, elles possèdent un vélum, principal critère du groupe. Outre les vélelles et les physalies, on peut rencontrer l’équorée sur nos côtes.
Aequorea forskalea échouée à Gâvres
  • Et enfin, Les cubozoaires. Essentiellement tropicales, les méduses boîtes sont absentes de nos côtes, si ce n’est une espèce vivant en Méditerranée (La carybdée marsupiale). Reconnue assez aisément de par leur ombrelle cubique, les cubozoaires sont réputées pour abriter l’espèce animale la plus venimeuse du monde : Chironex Fleckerii, ou la guêpe de mer (D’autres espèces très venimeuses existent, comme la méduse Irukandji).

Les méduses sont des animaux apparus il y a plus de 600 millions d’années qui n’ont toujours pas trouvé utile de développer un cerveau (faute d’avoir le mésoderme à l’origine de notre cerveau, elles ont de la mésoglée). Pourtant, elles colonisent tous les milieux aquatiques et profitent du moindre déséquilibre écologique pour dominer leur environnement. Cependant, comme tout être vivant, les méduses ont besoin de facteurs biotiques (ex : des proies à consommer) et abiotiques (ex : un substrat pour que les phases benthiques se développent) afin de survivre. Et même si l’eau chaude peut aider, ce n’est pas le seul point important pour elles.

Pas si frileuses que ça

Tout comme les méduses pullulant dans les eaux estivales, les articles de presse les concernant se multiplient à cette période et laissent peu de place dans leurs lignes aux raisons de leur apparition (du moins autre que celle du réchauffement climatique). Lorsque les vacanciers se jettent dans les eaux méditerranéennes et atlantiques, l’important est de prévenir les nombreuses personnes que la méduse rôde. Mais lorsque arrive la fin de l’année, les témoignages se font plus rares, ce qui n’exclut pas d’en croiser à cette période, de même qu’en début d’année. Plusieurs raisons peuvent expliquer leur présence dans des eaux qui sont pour nous très fraîches :

L’écologie de l’espèce ne la rend pas sensible à l’augmentation de température de l’eau, par exemple. Car souvenez-vous, il existe des milliers d’espèces de ces gélatineux urticants, et certaines d’entre elles vivent dans les pôles ou les grands fonds, là où l’eau avoisine le zéro degré. Certaines ne sont donc tout simplement pas « intéressées » par le réchauffement occasionnel de l’eau.

Des déséquilibres des réseaux trophiques marins jouent souvent en faveur des méduses qui peuvent prendre ces événements de manière opportuniste. Baisse de leurs prédateurs et/ou de leurs concurrents sur la quantité de nourriture disponible, la surpêche est un des exemples d’impacts sur l’environnement qui favorise la multiplication de leurs apparitions.

L’augmentation des infrastructures littorales peut également jouer. La plupart des méduses pouvant pulluler (poumons de la mer, aurélies, méduses boussoles…) ont un stade benthique appelé scyphistome (pour les scyphozoaires) ou hydre (pour les hydrozoaires). Pour elles, compliqué de s’installer durablement près des plages si celles-ci n’offrent pas de substrat sur lequel se développer. Or, grâce aux différents bâtiments ayant les pieds dans l’eau, le terrain de jeu s’agrandit pour les polypes de méduses et des « blooms » de méduses peuvent apparaître plus facilement sur les lieux de baignade où il n’existait encore aucun support pour leur phase benthique.

Les tempêtes et les courants peuvent nous rapporter de la haute mer des populations de méduses car bien sûr, ne sachant pas lutter contre le courant, ce sont des planctons. Pour la pélagie que nous retrouvons majoritairement en Méditerranée mais qui est en réalité cosmopolite, la principale raison de ses échouages sur nos côtes en novembre est bien celle du courant. Ce sont également ces événements qui nous amènent physalies et vélelles qui elles sont du neuston, ayant une interaction air-eau.

Dernier exemple, l’eutrophisation. Bien que parfois de l’ordre naturel, les activités anthropiques multiplient les apparitions de ce phénomène majoritairement néfaste pour l’environnement… Excepté pour les méduses. Elles adorent. La prolifération de nutriments issus de ce phénomène apporte une forte augmentation de phytoplancton qui ensuite profite au zooplancton, nourriture des méduses. Le cycle des microplanctons étant relativement court, une « pluie » de cadavres tombe sur le fond et, consommée par des bactéries, cela donne une « zone morte », ces dernières consommant la matière morte et l’O2. Les animaux fixés dans cette zone en perdition ne peuvent pas s’enfuir et meurent asphyxiés, nourrissant ce cercle vicieux. Pourtant, les méduses restent et pullulent, car il reste de la nourriture à la surface et le manque d’O2 ne les gênent pas, de même que la forte turbidité ne gêne pas ces chasseuses tactiles. En outre, ce sont les reines de ces lieux en période de fort déséquilibre, là où les animaux les plus évolués – comme les poissons – disparaissent de cette zone accidentée.

Évidemment….

Ne rejetons pas la température de l’eau, car bien entendu, c’est un facteur important de leur multiplication. L’augmentation de la température induit plusieurs raisons de leur apparition, mais une principale ressort : leur optimum de reproduction. Beaucoup d’études portent à croire que les polypes (qui sont une phase asexuée de la méduse) seraient plus efficaces sous une température plus élevée, mais d’autres éléments clés de la compréhension de leur cycle de vie restent encore aujourd’hui dans l’ombre. Ces freins s’expliquent notamment par la très petite taille des polypes (en moyenne entre un millimètre et un centimètre) très difficiles à observer, la nécessité de plonger (homme ou robot) et la limite des représentations environnementales en laboratoire.

Hydre de presque 500µm (Crédit photo: Observatoire du plancton)

Enfin, le réchauffement climatique n’est pas le seul responsable de la montée de température des eaux, du moins, localement. Les centrales nucléaires sont un exemple d’infrastructures ayant besoin d’eau pour refroidir leurs réacteurs. L’eau pompée et utilisée est donc à la sortie plus chaude et directement relâchée dans le milieu. La centrale et ses environs peut donc être un haut lieu de reproduction pour les méduses, le substrat et l’eau chaude étant offerte par la maison. Ainsi, de nombreuses centrales à travers le monde se sont déjà vu se faire stopper par une invasion de méduses obstruant les pompes par dizaines et centaines de tonnes !

Une multitude de raisons pour autant de diversité

Comme vous venez de le lire, le réchauffement de l’eau, quelle que soit sa provenance, n’est pas la seule raison de la multiplication et de l’essor des méduses. De nombreux déséquilibres, souvent causés par nos activités, servent de tremplins à différentes méduses qui à leur tour occasionnent de nouveaux problèmes. Invasions sur les plages, blocages de centrales nucléaires, obstruction de filets de pêche, disparition de stocks de poissons…

La venue massive de ces animaux qui font la une des journaux ne sont en réalité qu’une conséquence de nombreux problèmes actuels et sont là comme une piqûre de rappel, et ce, même en hiver.

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