La vie dans une goutte d’eau

L’identification chez le Plancton : loin d’être une mince affaire

Observer le plancton peut être un long processus, de sa pêche jusqu’à son identification. Tout d’abord, avoir le matériel n’est pas donné à tout le monde, un microscope peut s’avérer coûteux et un filet plancton est difficilement dénichable sur internet et encore plus dans le commerce. Un autre souci : l’identification. Véritable champ de bataille chez les biologistes, les « familles, « genres » et « espèces » sont des cases d’où les planctons peuvent sortir et aller se cacher dans une autre. Ce travail d’identification, souvent perçu comme une finalité, peut s’avérer être un piège dans lequel il ne faut pas tomber.

L’histoire mouvementée de l’identification

Lorsque nous sommes dehors en ville, en forêt ou sur le littoral, nous identifions la plupart du temps les animaux et végétaux qui se trouvent devant nous. Chêne, pigeon, chien, souris, pissenlit… Nous leur donnons un nom, mais pourquoi ? Et surtout, comment ? Si nous voyons un être vivant voler d’un arbre à un autre, avec quelques critères, nous l’identifierons comme étant un oiseau car nous nous basons sur le physique de l’animal. Très tôt dans l’histoire de la classification, l’homme s’est imaginé une façon de ranger les êtres vivants dans des boîtes à la manière de poupées russes, ne cessant d’évoluer dans le temps.

Dans un premier temps, loin des premières pensées scientifiques, de l’Antiquité au Moyen-Âge, la classification était dans un but utilitaire où animaux, végétaux et champignons étaient rangés suivant leur(s) apport(s) pour l’Homme. Lors de la Renaissance, c’est la nomenclature binomiale qui apparaît. Ici, la science est présente mais reste derrière la religion qui considère chaque être vivant comme une création divine et ne peut donc pas évoluer. C’est au siècle des Lumières (début du 18 ème) que la classification que l’on connaît aujourd’hui prend un tournant : Carl Von Linné invente la taxonomie en y conservant la nomenclature binomiale. En passant par l’ère contemporaine où l’on retrouve Darwin et sa théorie évolutionniste, nous utilisons aujourd’hui la phylogénétique qui repose sur le regroupement d’organismes originaires d’un même ancêtre commun selon les caractéristiques qu’ils partagent plutôt que l’inverse, longtemps utilisé par les anciens « scientifiques ».

Les difficultés du terme « espèce »

Il est rare d’entendre un néophyte annoncer une espèce précise lors d’une observation naturaliste, surtout s’il a affaire à un plancton. Si l’on évoque une espèce, il faut savoir qu’il s’agit du « haut de la pyramide » de la taxonomie. Souvent observé lors des prélèvements et particulièrement célèbre, le copépode est un nom souvent utilisé lors de son identification, qui garde cependant un certain degré de précision. En effet, dans la taxonomie simplifiée, nous avons (du plus large au plus précis) : le règne, l’embranchement, la classe, l’ordre, la famille, le genre et l’espèce. Si l’on doit ranger le copépode, on le mettrait au niveau de la classe ! (Plus précisément, c’est une sous-classe). À titre de comparaison, en observant un rouge-gorge, ce serait simplement signifier que c’est un oiseau !

Le copépode étant un groupe particulièrement complexe, assez mal documenté et vivant dans pratiquement tous les milieux aquatiques du globe, trouver l’espèce parmi les plus de 10 000 répertoriées serait un jeu risqué. Un exemple d’espèce de copépode serait Peniculus minuticaudae (un parasite). Vous l’aurez remarqué, pour nommer correctement une espèce, il faut le genre suivi de l’espèce – comme on nomme une personne de son nom et prénom -, qu’il soit en latin et marqué en italique.

Enfin, le terme d’espèce est souvent discuté par la communauté scientifique par l’étendu de ce que sous-entend ce terme, des idées trop anciennes en désaccord avec la génétique, etc… Nous n’entamerons pas ce sujet ici mais vous pouvez d’ores et déjà cliquer sur le lien suivant qui traite de ce sujet : https://theconversation.com/hamster-et-serpent-coyote-et-blaireau-quest-ce-que-les-amities-entre-animaux-nous-enseignent-sur-lidee-despece-246796

Comme une envie irrésistible d’identifier

Le regard plongé dans le contenu d’une goutte, nous observons bien des choses complexes : des algues microscopiques, des animaux cyclopéens, des peaux mortes, des débris divers… Lorsqu’on a appris à séparer le vivant du non-vivant, on a vite envie de donner un nom à ces êtres planctoniques, mais les livres qui nous aident peuvent parfois nous piéger. Comme dit plus haut, voir un copépode et le nommer comme tel peut être un peu frustrant, nous ne sommes qu’à la sous-classe ! Un cladocère, lui, si l’on reste à cette échelle taxonomique, est un sous-ordre, ce qui comprend certes moins d’espèces que les copépodes mais qui reste compliqués à identifier. Lorsqu’on ouvre un livre, quelques dizaines d’espèces nous sont présentées, goutte d’eau dans l’immensité de la diversité planctonique. Si on arrive à identifier une pie bavarde dans son jardin au premier coup d’œil, on doit bien pouvoir identifier ce copépode, non ? Cette réflexion amène souvent à vouloir aller plus loin que ce que le livre peut nous offrir. Pourtant, savoir que tel animal est une larve de crabe ou que tel phytoplancton est un dinoflagellé est déjà une bonne observation !  Vouloir s’empêtrer dans une chasse à l’espèce via des livres ou des sites ne peut pas tout le temps être bénéfique et surtout obligatoire. (Notons que les noms changent périodiquement, un livre de 20 ans ne sera peut-être plus d’actualité).

Les raisons d’une identification

Les exemples donnés plus haut impliquant des identifications vastes sont principalement faites à visée pédagogique. Les noms d’espèces étant très majoritairement en latin, vouloir en donner un à du public néophyte reviendrait à se tirer une balle dans le pied. Lorsqu’expliquer le terme du plancton peut embrumer les esprits de certains, lancer Eutintinnus apertus ne risque pas d’en aider un seul, on préfèrera le tintinnide qui est l’ordre de l’animal. Même lors de nos comptages, l’observation d’une diatomée ne va quasiment jamais jusqu’à l’espèce, car ce n’est tout simplement pas nécessaire. Par exemple, le genre Navicula peut se retrouver dans nos flacons, prélèvements originaires de la rade de Lorient. Le genre à lui seul compte plus de 1 200 espèces et se trouve en eau douce comme en eau de mer, et toutes sont très ressemblantes. Dans ce cas-là, la dénomination du genre est largement suffisante. Dans le cas contraire, l’espèce peut être demandée lorsqu’elle est utilisée comme nourriture, pour l’homme comme en aquariophilie. Le copépode Calanus finmarchicus est un exemple d’espèce recherchée et pêchée en Mer du Nord pour son huile aux multiples apports nutritionnels et convenant aussi bien aux poissons d’aquariums qu’aux humains.

(Pour en apprendre plus sur cette espèce : https://calanus.fr/recolte-durablement)

 Enfin, dans une problématique d’espèce invasive ou envahissante, connaître l’espèce ciblée est dans une moindre mesure une nécessité !

Ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau… ou presque

Au-delà de tout ce que nous venons de voir, que nous nous arrêtions à la classe ou à l’espèce, certaines d’entre elles se ressemblent sont pour autant appartenir à la même famille. Pour éviter ces confusions lors d’une observation au microscope, voici quelques de ces planctons récalcitrants chez lesquels l’erreur revient souvent lors de nos interventions :

Chaetoceros et Bacteriastrum :

Appartenant tous deux à la famille des Chaetoceratoceae, ces deux genres sont toutefois el et bien différents et comprennent chacun de nombreuses espèces dans tous les océans. Comme sur les visuels, on peut apercevoir une certaine disposition des soies sur les cellules de ces deux genres, en vue valvaire comme connective. Les bacteriastrums voient leurs soies en « Y » en rang serré tandis que les chaetoceros (tous les genres ne tiennent pas dans cette description) ont des soies séparées dès leur base.

Coscinodiscus et Actinoptychus :

Si l’échelle de grandeur n’est pas précisée et l’œil non entraîné, ces deux genres sont très distincts de par leur aspect rond. Ils ont néanmoins un critère qui les sépare très nettement : Actinoptychus n’est pas lisse mais bombé à certains endroits de son frustule (ou squelette) et le découpe en 6 parts égales suivant le genre. On le voit souvent comme le sigle nucléaire et est très petit (à peine 100µm maximum) par rapport à son homologue cylindrique qui lui peut atteindre le millimètre !

Oïkopleura et la larve d’ascidie :

Tous deux tuniciers, ils ne sont néanmoins pas de la même espèce, ni de la même classe d’ailleurs. Oïkopleura est un genre de plancton permanent et une grosse composante des océans parfois nommé « têtard des mers » qui peut faire penser à une virgule, sa notochorde partant de l’arrière de sa « tête » pour faire penser à une colonne vertébrale (et nous n’en sommes pas loin car c’est une des premières ébauches de cette anatomie des chordés). Quant à l’ascidie qui est une classe, sa larve peut être confondue avec l’Oïkopleura mais sa « queue » suit la longueur de sa tête à la manière d’un têtard de grenouille. Les photos parlent d’elles-mêmes !

La larve de bivalve et l’Ostracode :

Enfin, dernière exemple parmi tant d’autres qui aurait pu être dans cet article : la larve de bivalve (qui est un mollusque) aurait pu être tranquillement identifiable si l’ostracode (qui lui est un crustacé) n’avait pas décidé de lui aussi se munir de deux valves pour ressembler fortement au dernier et tromper les amateurs de plancton. Il est toutefois assez simple d’observer par transparence l’œil de l’ostracode ainsi que ses pattes bouger à l’intérieur de ses valves. La larve de bivalve, elle, sera aussi transparente mais se déplace grâce à des cils vibratoires et une tâche verte peut se trouver en son centre : c’est son repas du jour (du phytoplancton). Aussi, la taille de certains ostracodes ne laisse pas de doutes planer : quelques espèces dépassent le millimètre lorsque les larves de bivalves atteignent à peine 150µm.

Finalement, que ce soit des planctons ou tout autre être vivant, l’identification n’est jamais réellement simple. Les questions à avoir lorsqu’on souhaite identifier une espèce sont : Ai-je des livres récents? Les photos/dessins que je vois sont-ils assez précis? l’espèce en face de moi montre t-elle tous ses critères pour pouvoir l’identifier? Etc… Évidemment, avoir la possibilité et l’assurance d’aller jusqu’à l’espèce est toujours très satisfaisant, les membres de l’observatoire sont eux-mêmes curieux d’identifier et vont jusqu’à passer quelques heures pour au final ne rien trouver, ça arrive à tout le monde 🔍

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