La vie dans une goutte d’eau

LES HUITRES NAISSENT EN ÉTÉ, CELLES DE NOËL AUSSI…

Avant lecture de cet article portant sur le dur et beau métier qu’est celui de l’ostréiculteur, l’Observatoire remercie chaleureusement Tyfenn Yvon qui porte du bout de ses doigts des articles sur son travail que nous ne saurions pas reproduire. Elle vous apporte des connaissances que nous retrouvons que rarement dans les articles conventionnels traitant de leur profession et sait le faire avec poésie. Comme la culture de l’huître est très fortement corrélée avec celle de nos fêtes de fin d’année, voilà un (bel) écrit sur le chemin que traverse le mollusque du plancton à votre assiette.

 …et puis c’est tout.

 Je ne sais pas pourquoi c’est surtout à Noël que les français mangent des huîtres. N’étant pas issue de la culture ostréicole, ayant vécu « ailleurs », j’apprends ces habitudes avec curiosité ; au fond, je mange des huîtres avec autant de plaisir en avril qu’en décembre.

 La piste numéro 1 je suppose est une histoire de conservation et de transport : c’est bien plus facile de garder la température adéquate d’octobre à mars pour faire se balader des huîtres, et d’autant plus en décembre, quand on oscille entre les 6 et 10 degrés nécessaires pour que l’huître se conserve bien. Même si ces jours-ci en Bretagne, on est bien au-delà des 10 degrés.

La piste numéro 2 est l’aspect convivial d’un plateau d’huîtres au milieu d’une grande tablée familiale. Rien de plus festif que la couleur nacrée de l’huître, sa brillance et son éclat étant capable de relever de lumière la grisaille de l’hiver.

Bien sûr, l’une des meilleures explications est aussi le bien être qu’apporte la dégustation d’une huître : le coup de fouet vitaminé et iodé qui réveille de bon matin, qui apporte les minéraux, le zinc, le sélénium, les oméga-3 qui compensent la surconsommation de foie gras.

Mais enfin, je dois oublier d’autres raisons certainement moins pragmatiques, peut-être plus consuméristes.

Décembre est donc LE mois des huîtres pour nous et les collègues.

C’est l’accomplissement de quasi 3 ans de travail pour le coquillage que vous avez dans l’assiette, c’est une cinquantaine d’interventions avant qu’il vous arrive, entre la récolte de son naissain et l’affinage final qui va lui permettre d’optimiser son taux de chair.

Parce que l’huître est née un été.

Celui d’il y a environ deux ans et demi, au minimum. Elle ne PEUT PAS naître pile il y a 3 ans, en décembre. SAUF s’il s’agit d’une huître issue d’écloserie, où l’on fait croire à l’humain qu’il a le contrôle sur tout, et aux huîtres qu’elles ne sont pas obligées de se reproduire…

Sachez que tout ce naissain né en été, on l’accompagne jusqu’à votre table.

On ramasse la criblure qui tombe au sol sous le vide en poches, on balaie les poussières pour les mettre à l’eau au cas où un bébé huître aurait échappé à notre vigilance.

On accroche le mieux possible ces poches si légères de mailles de 6 ou de 8mm, capable de flotter et partir au courant si l’on ne fait pas bien notre travail.

Ça c’est en avril ou en mai.

Dès juin, on dédouble ces poches pour laisser la place au naissain de se développer, grandir.

Tout l’été, ces huîtres d’un an, et de 2 ans pour la génération d’avant, nous allons les tourner, les mettre en conditions idéales pour qu’elles aient à la fois assez d’oxygène alors qu’il fait chaud et qu’il n’y a pas de vent, et la possibilité de filtrer le plancton pour se nourrir.

Enfin arrive septembre et le début de la saison de vente des huîtres. Nous laissons en paix les huîtres qui n’iront pas en bourriches, elles vont se mettre en sommeil le temps de l’hiver, avant de se revigorer pour passer à l’âge adulte et se reproduire.

En revanche, toutes les huîtres adultes passent entre nos mains.

Toutes.

En effet, de septembre, moment où l’huître se refait une santé après la période de reproduction qui l’a laissée à plat, jusqu’aux expéditions de décembre, l’équipage trie, calibre, nettoie les huîtres pour d’abord vérifier que tout va bien, ensuite pour commencer à préparer le stock nécessaire.

Les huîtres ainsi apprêtées, seront remises sur parcs, où elles vont se gorger de sels minéraux, de plancton entre autres. Il y a souvent une pousse d’automne sur les huîtres, cette fine couche coupante et fragile comme de la crêpe dentelle de Landerneau, et nous sommes parfois surpris de voir comment les huîtres ont encore grandi en quelques courtes semaines.

Aux marées, en début d’automne, c’est souvent la course pour tourner les poches et casser cette dentelle avec le double bénéfice de ralentir la croissance de l’huître quand elle a déjà la taille favorite, et de renforcer la coquille, la rendant plus apte à la conservation, plus résistante.

C’est un travail physique, exigeant, dans un milieu parfois rude, il ne faut pas être trop frileux même si on est équipé de manteaux et autres gants qui protègent un peu.

L’automne est aussi une porte qui prépare à l’hiver avec des matins fabuleux.

Il faut être prêt.

Le travail monte crescendo. Nous passons de 3 à temps plein, à 5 puis 8 et nous serons au moins 12 les 15 derniers jours de décembre.

Après notre travail, pour que vous puissiez en profiter, il y a le rôle des transporteurs…

Si l’ostréiculture en pays d’Auray s’est fortement développée vers 1875, c’est avant tout grâce au chemin de fer, aux voies de communication, et maintenant à la route, aux transporteurs, qu’ils soient en froid ou en messagerie express.

Sans eux, point d’huîtres sur vos tables.

Algorithme en devenir

Certains endroits livrés sont en montagne, où existe un phénomène climatique quasiment inconnu en Bretagne qu’on appelle « neige » et qui peut parfois contrarier nos livraisons.

Il y a aussi de temps en temps, des phénomènes humains dits de contestation, qui bloquent les routes, empêchant notre récolte d’arriver à destination.

Ensuite, il y a les aléas propres à nos lieux de production : le littoral, le bassin versant, lieu de collecte de toute activité terrestre, pas toujours vertueuse, pas toujours en capacité de gérer les afflux de population, de pollutions…

Et ces phénomènes-là sont ceux que l’on redoute le plus, qui peuvent mettre en péril notre activité, notre existence même pour certains qui n’ont pas le dos encore solide.

Noël est donc un moment crucial dans une année ostréicole, que l’on le veuille ou non.

On ne rate pas Noël.

L’ostréiculture est une danse entre le jeu de hasard et la maîtrise d’un geste, d’un savoir-faire.

Sur ce que nous pouvons maîtriser nous ne laissons pas de place à l’approximation. Chaque geste a un sens, pour ne pas perdre ni de temps ni d’énergie, le laisser-aller n’a pas sa place dans les métiers du vivant.

L’affutage est humain, sensoriel, la nature fait le reste.

Cette huître a sans doute dépassé ses 3 ans

C’est maintenant à vous d’en profiter.

Quand vous ouvrirez vos huîtres, en toute sécurité, (un couteau adapté, un torchon, de la patience, et peut-être qu’il faut que je fasse un tuto) vous saurez ce que vous mangez : un produit venu de la mer, qui existe depuis des millénaires, qui porte l’évolution de la terre et des hommes dans sa chair. Vous saurez le travail que cette assiette a demandé, les années précédentes, vous saurez le bienfait qu’elle va vous apporter.

Et même si vous n’aimez pas les huîtres, ou si elles ne vous aiment pas comme je l’entends parfois, vous pouvez admirer ce qu’elle est : un témoin, une sentinelle, un patrimoine.

Tant qu’il y a des huîtres…

(N’hésitez pas à suivre leur actualité sur les pages Instagram et Facebook, il y a souvent des images ou des informations plus quotidiennes qu’ici).

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