Un article et des photos par Tifenn Yvon, ostréicultrice à Listrec à Locoal-Mendon et membre de l’Observatoire !
Au début, il y a l’huître de sol
Mon amie me dit : « Comme les huîtres de terre, alors ? » en pensant au tubercule qui pousse dans les champs. J’ai trouvé la comparaison heureuse.
Bien que l’huître de sol ne soit pas née d’une graine plantée en terre, elle grandit avec bonheur, posée sur le sable, la vase, les sédiments que la géographie du lieu permet.
Nous ne répétons jamais assez que nous sommes des paysans, mais des paysans de la mer. « Du latin pala dérivé du verbe pangere, qui désigne d’abord ce qu’on enfonce » Nous n’enfonçons rien, mais nous semons, des huîtres, comme on sème des graines à la volée dans des champs.
Nous avons une blague récurrente, quand mon patron de mari s’en va, et me lance « je vais draguer » en présence d’amis qui me regardent d’un air effaré. Je leur réponds alors « mais oui, parce qu’on sème ! ».
Nous pratiquons deux types d’élevages, l’un en surélevé, sur tables, et l’autre au sol, à même l’estran, l’espace découvert par les marées quand elle veut bien descendre. Chaque technique a ses avantages et ses contraintes.
Nous avons la possibilité de pratiquer cet élevage au sol, comme les anciens avant que ne soient inventées les gabirolles puis les poches, pour protéger les huîtres de la prédation. En effet, dans la chaine alimentaire, la petite huître est un aliment de choix, pour la dorade royale par exemple, et celle-ci est capable de faire des coupes sombres sur un parc, si un banc vient à passer par là. Les poches vont protéger des crabes, des étoiles de mer, des huîtriers pies et de la dorade.
Notre emplacement en amont de la rivière nous protège un peu mieux des dorades, qui n’ont pas besoin de remonter si haut avant de trouver pitance. Néanmoins, nous ne semons pas le naissain, ni les huîtres trop petites. Elles sont déjà bien formées et résistantes quand elles se retrouvent au contact du sol et des éléments.
Le dernier argument que je peux développer par rapport à la prédation, est notre faible densité d’huîtres : cela permet à une formidable biodiversité de s’épanouir, et il y a de tout à manger pour tout le monde. Le seul véritable prédateur des huîtres de sol est à deux pattes, et fait semblant de ne pas savoir qu’il marche dans ou qu’il longe d’un peu trop près les parcs, où les huîtres sont si faciles à ramasser à la main. La réglementation est connue, sauf de la mauvaise foi, qui dit qu’on ne peut s’approcher à moins de 10 mètres des limites de parc. Autant dire qu’on en est bien loin, avec la tolérance que nous accordons à 3 m.
L’avantage de l’élevage au sol est d’abord pour l’huître : ainsi posée, elle sera bousculée par les courants de fond, se frottera au sol, roulera, renforcera sa coquille pour mieux se défendre. Elle prend une couleur légèrement différente, se faisant caméléon, comme en résilience. Je les trouve moins monotones, plus variées, imprégnées de leur milieu.
D’autre part, il me plait à penser que, malgré le petit marnage que nous avons (pas plus de 2,5 m je crois) la nourriture que l’huître va trouver à la base de la colonne d’eau, est différente de celle qui se trouve un peu plus haut sur les tables. Jérôme et Antoine (deux des salariés de l’Observatoire du Plancton) me disent qu’elle doit être minime, mais quand même les sédiments doivent donner un peu de punch à notre mollusque préféré non ?
Le dernier avantage est estival : un seul homme, tel « a poor lonesome sea-boy », à bord de son chaland, grâce à la herse que celui-ci tracte, peut suffire à nettoyer la végétation qui recouvre les parcs quand la chaleur et l’oxygène développent tout un tas de macro-algues, les enteromorphes par exemple (consommable, dites Aonori au Japon) qui vont alourdir la coquille de l’huître et l’empêcher de bailler pour se nourrir de l’eau qu’elle filtre.
Le principe est de griffer le sol pour détacher la végétation du sol et/ou de la coquille, et la faire partir au courant de jusant. Les huîtres elles, retombent au sol sous le seul effet de la gravité.
Seulement voilà. Un jour ou l’autre ces huîtres ont grandi et doivent être « levées », donc draguées. Le poor lonesome sea boy va repartir en mer, changer l’outil tracté par le chaland pour une drague, sorte de poche en maillage de fer, qui va gratter le sol pour ramasser les huîtres comme une main géante. Nous venons de remplacer la drague et elle travaille formidablement. Bien sûr, le talent du pilote est nécessaire pour sentir aux frémissements du bateau, le moment où la drague est pleine, savoir à la hauteur de niveau d’eau, quelle longueur de bout allonger pour la position sous-marine de la drague (trop court elle ne touche pas et ne ramasse rien, trop long elle va labourer le sol, l’abîmer et ramasser autant de vase que d’huîtres et autres coquillages), tout un art que je ne maîtrise absolument pas et c’est très bien comme ça.
À terre, les huîtres devront être triées et calibrées. Et en fonction de la météo et donc de la « richesse » du milieu, elles devront être brossées aussi. Une à une.
Cette année nous avons innové et embauché 3 matelots hyper motivés, pour nous aider à travailler tous ces cailloux. On ne le fait jamais si tôt dans la saison, mais nous voulions être optimistes et voir à long terme…
Et Jonas jaillit de la baleine !
Le sol fait partie de la combinaison sur la qualité du produit. Il est difficile de croire qu’une surface vaseuse et molle donnera toutes ses chances au coquillage de se développer harmonieusement. Et difficile aussi pour l’ostréiculteur.trice de marcher confortablement sur un sol mou. Ainsi, il faut entretenir les parcs de façon régulière. Cela demande du temps, beaucoup de temps, dernier allié précieux pour une belle huître. Jean-Noël passe des soirées ou des heures entières, à passer la herse ou la barre et les chaine, en fonction de ce qu’il y a sur le sol et ce qu’il prévoit d’y faire après. C’est une forme de respect que l’on a, pour le travail des anciens qui ont durci les parcs, les ont créés de leurs mains et de leur sueur. Et pour l’huître, puisque notre travail consiste essentiellement à la mettre dans les meilleures conditions de vie.
Quand la drague ne pêche plus, ou trop peu, c’est que tout le carré a été levé. Pourtant, il reste pas mal « d’éparses », ces huîtres qui n’ont pas été attrapées au passage de la drague, ou qui ont été chassées sur les bords du carré, au virage du chaland, au déplacement des courants.
Alors, nous nous saisissons du râteau et de la fourche à basse mer, et nous allons ratisser. Passer au peigne fin toute la surface du carré.
À vrai dire, hier soir vers 18:30, nous faisions une marée râteau/fourche d’amoureux, ça arrive aussi, mais je n’avais ni appareil photo ni téléphone pour marquer la lumière magnifique qui dessinait l’ombre portée des huîtres, colorait d’ocre le sol plein de petits coquillages variés, un vrai bonheur de travailler dans le silence et la paix d’un endroit magique, où le héron cendré nous laisse l’admirer avant de s’envoler plus loin.
Au départ je voulais adopter une méthode linéaire pour être sûre de ne rater aucun caillou. Mais mon patron voltigeait comme un danseur papillonnant autour de moi, et je décidais d’adopter sa conduite : aller là où l’huître me mène, ce qui donne une sensation de fouillis et de liberté incomparable.
Il y a dans ce geste paysan du ratissage, une forme de connexion entre le sol et le corps, qui remet à sa place, qui rassure. Il y a toujours un moment, dans sa culture, ou dans la culture, où l’on passe le râteau, la fourche, pour faire place nette, nettoyer et ranger à sa place ce qui doit l’être.
Un peu comme de finir un livre, avant de passer au prochain…
Teasing d’enfer, isn’t it ?